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Guerre à la Syrie...

Finalement...

...on va réfléchir

vendredi 18 septembre 2015, par Frédéric Poncet

J’écrivais ici que la France entrait en guerre contre la Syrie. Juridiquement, c’est incontestable, comme le fait remarquer très justement cet article. Sur le fond, c’est l’impression que m’avait donné la présentation faite par la presse des premiers vols de reconnaissance [1], tant la description de Bachar Al Assad semblait le désigner comme l’ennemi principal ! Léger changement de ton ce matin : Al Assad est toujours un monstre (il ne mange pas d’enfants au petit déjeuner, mais peu s’en faut) mais l’on pose la question : « faut-il pactiser avec le diable ? ». Il faut bien commencer à justifier un changement radical d’orientation.

Il ne faut pas perdre de vue, dans cette affaire, le statut de vassal des Etats-Unis qu’a désormais la France -vassal de second rang disent les mauvaises langues, derrière Israël, l’Arabie Saoudite, le Qatar et l’Allemagne.
Et s’il est vrai que la France, ou plus exactement Laurent Fabius (et sans doute de façon plus discrète son prédécesseur Alain Juppé) ont beaucoup parlé en faveur d’une guerre contre le « régime » syrien, il ne saurait être question d’intervenir de façon intempestive et contre l’avis du suzerain américain.

Or, un élément nouveau a perturbé sensiblement les plans des va-t-en guerre : l’accord sur le programme nucléaire iranien. A partir du moment où les Etats-Unis acceptaient de clore ce conflit, il devenait impossible de le compromettre immédiatement en continuant de jeter de l’huile sur l’incendie frontalier. Petit à petit, Barack Obama est parvenu à contenir plus ou moins ses va-en-guerre en Syrie [2] -c’était peut-être aussi une condition pour parvenir à un accord avec l’Iran.

La Russie, bien sûr, a joué un rôle important dans la signature de cet accord. On souligne volontiers les signes récents de son implication militaire accrue en Syrie, jusqu’à raconter n’importe quoi [3] mais la rumeur de cette présence militaire, réelle ou non, savamment démentie et entretenue à la fois par la Russie, n’est sans doute qu’un moyen pour les Etats-Unis de justifier que, finalement, ils n’attaqueront pas Bachar Al Assad. Publiquement la faute n’en reviendra pas à leur signature d’un accord avec l’Iran, sans doute déjà difficile à « vendre » à leur aile droite, mais à la Russie qui menace de protéger la Syrie d’une éventuelle agression. A défaut de comprendre que les Etats-Unis n’ont plus les moyens d’écraser l’Iran comme ils ont pu le faire pour l’Irak, les conservateurs devraient au moins comprendre que la Russie constitue un morceau d’un tout autre acabit [4].

La Russie, dans cette affaire, a accepté de donner aux Etats-Unis le « casus pacis » dont ils avaient besoin pour accompagner la signature de l’accord avec l’Iran. Son implication réelle en Syrie est sans doute pour le moment très limitée et Poutine n’a sans doute pas plus qu’Obama l’intention d’enclencher une folle escalade guerrière entre les deux puissances.


Le drame pour la France, après son ralliement piteux au commandement intégré de l’Otan, est qu’elle soit réduite à accompagner la politique internationale de son suzerain mais de la façon la plus dérisoire qui soit, tiraillée entre différents courants de l’administration des Etats-Unis. C’est ainsi que les relais des « néocons » en France continuent d’agir comme si Al Assad allait subir demain le sort de Kadhafi alors que la politique de l’Empire a tourné. Que feront nos bombardiers en Syrie ? Peut-être découvriront ils finalement combien les convois du faux califat sont exposés et vulnérables, et sans doute celui-ci va-t-il se dégonfler aussi vite qu’il a envahi le désert et quelques grandes villes d’Irak et de Syrie. Ses chefs iront dans les prisons de la CIA ou seront assassinés -c’est le risque d’une vie de mercenaire : le commanditaire n’a véritablement aucun compte à leur rendre- tandis que ses combattants trouveront miraculeusement des passeurs pour les conduire dans le Caucase ou en Crimée. Les va-t-en guerre n’ont sans doute pas dit leur dernier mot, malheureusement.
[Ajout du 6 octobre 2015 : un certain nombre d’entre eux seraient déjà en train de revenir en Libye, pays récemment "démocratisé" par... la France. Source.]


[1Qui n’auraient en réalité pas eu lieu le jour annoncé en raison d’une tempête de sable. Mais peu importe la date exacte de ces vols.

[2Ajout du 1er septembre : la chose n’a pas fait grand bruit en France, mais Barack Obama a procédé à une véritable purge au sein du Pentagone. La liste des officiers limogés entre 2011 et 2013 figure ici.

[3La thèse d’un sous-marin nucléaire russe arrivant en Méditerranée a été lancée par un site israélien, sans qu’on sache d’ailleurs comment une telle information aurait pu être obtenue.

[4Il leur reste à admettre que l’Empire n’est plus la première puissance mondiale. Ne les brusquons pas trop.