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Il n’y a pas de rente pétrolière au Vénezuela
jeudi 27 février 2014, par
Je viens de lire une fois de plus, dans un article pourtant sérieux, cette formule stupide de "rente pétrolière" dont souffrirait le Vénezuela. Que ce pays souffre d’un manque de diversité de son économie, c’est possible (encore que ça ne me semble pas être un problème économique majeur pour les décennies à venir). Mais parler d’une rente à ce sujet, c’est contribuer à enfumer les esprits avec de grands airs de savant, et cela sans doute non sans arrière pensée. Je crois utile de proposer ici une définition de ce qu’est une rente, que je ne crois avoir lu nulle part mais qui me semble cohérente avec l’usage qu’on fait ordinairement, en économie, de cette notion.
Encore les physiocrates
On ne fait pas sortir le pétrole du sol simplement en semant des dollars. Ceci ressemble à une évidence et pourtant, ça ne l’est sans doute pas. Longtemps, les économistes (que l’on a appelé plus tard les "physiocrates") ont pensé que la richesse venait de la nature : n’était-ce pas elle qui fournissait l’essentiel du travail pour faire pousser le blé ? Que cette nature ne réclame aucune contribution en espèces sonnantes et trébuchantes en échange de son travail, ne semblait choquer personne. Assez curieusement, on observe aujourd’hui une croyance similaire concernant le pétrole. Il aurait une valeur intrinsèque qui assurerait la richesse à celui qui en possède. On oublie un peu vite, au passage, que posséder un baril de pétrole et posséder un lopin de terre riche en pétrole ne sont pas tout à fait la même chose et ne trouveront pas aussi facilement acquéreur ni au même prix.
Bref : on oublie que l’argent finit toujours dans une main, jamais au fond d’un trou. Le prix d’une chose n’est jamais que le prix que l’on accorde à sa propre peine et que l’on consent à payer à autrui pour se l’épargner. Quand la nature nous donne quelque chose gratuitement, on le prend gratuitement ; quand il faut un minimum de peine (et de temps) pour l’obtenir, et seulement dans ce cas, la chose a un prix.
Qu’est-ce qu’une rente ?
Une rente est un revenu que l’on peut obtenir sans travail, c’est-à-dire sans consacrer ni temps ni peine à la chose pour laquelle autrui est prêt à consentir un prix.
Autant dire qu’une rente ne peut pas venir de la nature, car elle ne délivre rien qui ne nécessite aucun un effort pour l’obtenir mais qui ne soit pas accessible à tout le monde.
Ainsi, n’espérez pas tirer une rente de la vente de l’air que vous respirez : tout le monde peut respirer l’air qui l’entoure et personne n’a besoin du votre. L’existence d’un prix suppose au minimum celle d’une demande.
Vous pourriez en revanche en tirer une rente si vous étiez propriétaire d’une parcelle de cet air, et qu’à ce titre vous ayez le droit d’exiger un loyer de ceux qui le respirent dans votre propriété. L’exemple de l’air est caricatural mais permet de bien comprendre l’importance d’un droit artificiel dans cette affaire.
Nous touchons là un point essentiel : il n’y a pas de rente sans droit à en bénéficier [1]. Pour le dire de façon positive : une rente est le revenu tiré d’un droit qui n’est pas accordé à tout le monde, et dont on peut louer le bénéfice à ceux qui n’en disposent pas. [2]
Les revenus du pétrole ne sont donc absolument pas une rente. Celui de la vente d’une parcelle de terrain riche en pétrole en est une.
Le cas du Venezuela
Le Venezuela possède effectivement des terres riches en pétrole. C’est donc un pays qui pourrait bénéficier d’une rente pétrolière, en louant ou en vendant ses terres, à des compagnies pétrolières étrangères [3]. Mais précisément, le Venezuela a fait le choix inverse ! En nationalisant son pétrole, le Venezuela a fait de ses revenus pétroliers de purs revenus du travail, et non une rente.
Si l’on retient la définition proposée ci-dessus, une rente pétrolière peut exister. Elle est exactement de même nature que n’importe quel loyer. Certains pays, effectivement, bénéficient d’une rente pétrolière. Ce fut le cas du Venezuela avant 1976, ce ne l’est plus.
L’on pourrait objecter que cette nationalisation a été purement formelle et que la compagnie d’Etat s’est comportée en compagnie privée contre les intérêts même du pays [4]. Il n’en demeure pas moins que parler de rente est inexact (et plus encore, critiquer le gouvernement bolivarien à ce titre) : il existe bien une classe de rentiers au Venezuela, tout comme il en existe une en France. On ne parle pourtant pas de la "rente automobile" de la famille Peugeot ou de la "rente pneumatique" de la famille Michelin ! Il semble évident dans ces cas qu’il y aurait alors confusion entre la nature de la production et le mode d’appropriation du revenu.
A qui le crime profite ?
Pourquoi donc critiquer la "rente pétrolière" du Venezuela ? L’on peut bien sûr prêter aux bons docteurs Diafoirus la noble intention de vouloir le bien être des Vénézuéliens et l’amélioration de l’économie du pays. Je préfère pour ma part bannir toute interprétation candide des questions politiques et me demander à qui la confusion peut profiter.
En l’occurrence, inviter le Venezuela à réorienter son économie vers autre chose que le pétrole, n’a pas d’autre sens que l’inviter à... vendre ses terres riches en pétrole, autrement dit à privatiser l’exploitation de son pétrole (et encaisser, au passage, une rente) !
Nous pouvons être certain que l’expression "rente pétrolière" a encore de beaux jours devant elle à propos du Venezuela, car les lobbies qui ont intérêt à la privatisation du secteur pétrolier vénézuélien sauront distribuer les bons éléments de langage aux bonnes personnes, y compris aux mieux intentionnées du monde.
[1] Ni, bien entendu, sans un arsenal de moyens de coercition, tribunaux et forces de l’ordre, en capacité de faire respecter ce droit.
[2] Pour préciser les choses en termes juridiques, on ne devrait parler de rente que lorsque le revenu est tiré du droit d’accession, défini par l’article 546 du code civil en France.
[3] Encore que même dans ce cas, ce serait utiliser abusivement le terme de rente puisque cela revient à dire que tout impôt est une rente.