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Ecologie
Si l’on parlait un peu du chauffage électrique ?
Halte au feu...
vendredi 8 avril 2011, par
Ami lecteur intéressé prou par la science et peu par l’écologie, t’es tu déjà interrogé sur la pertinence du chauffage électrique ? Je ne l’avais jamais fait, jusqu’à ce qu’une amie m’envoie un courriel, écrit à l’origine par un ingénieur d’EDF. Deux jours après, je reçoit une publicité (sans aucun rapport) qui cherche à me vendre du chauffage "éco-électrique". C’est trop, il faut que je réagisse !
Le courriel de l’ingénieur d’EDF était une réaction, plus ou moins pertinente, à un reportage diffusé à 20h sur TF1, complètement farfelu si j’en crois ce témoignage [1].
Puis, emporté par sa démonstration, notre ingénieur d’EDF se livre ensuite à une charge en règle contre tout ce qui est concurrence aux centrales nucléaires : en particulier les éoliennes. Pour un peu, il expliquerait qu’une éolienne consomme plus d’énergie qu’elle n’en restitue... passons, il faudrait y consacrer un autre article.
Par un de ces mystérieux éclairs, que les psychologues cogniticiens appellent "insight", je me suis alors rendu compte de l’absurdité énergétique que constitue le chauffage électrique.
J’ai fait un rapide calcul, que j’ai peaufiné ensuite à partir de chiffres documentés. Je vous le livre :
De l’origine de l’électricité
L’électricité peut être produite à partir d’énergie chimique (dans une pile ou une batterie) mais, pour la production de masse, on ne connait aujourd’hui que trois grandes méthodes : voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Centra.... Retenons simplement que dans tous les cas, il y a une étape où l’énergie est convertie chaleur.
Retenons aussi les rendements [2] :
Type de centrale | Rendement |
---|---|
Nucléaire | 33% |
Thermique | 45% |
Il faut encore l’acheminer...
L’électricité est, quoi qu’on en dise, la forme d’énergie la plus "facile" à transporter. Certes, il y a des pertes ; le pétrole peut être transporté sans perte (de liquide) mais la conversion énergie chimique / énergie mécanique se traduit par une perte de l’ordre de 70%... L’énergie électrique peut être transportée avec un rendement de près de 95%, puis convertie en énergie mécanique avec un rendement supérieur à 90% : soit moins de 15% de perte.
Pour la production de mouvement, "il n’y a pas photo" : l’électricité est la meilleure forme d’énergie. Mais retenons quand même qu’on obtient au mieux, par rapport à la source, moins de 40% de l’énergie... [3]
Nota bene : ce chiffre de 95% est le rendement constaté du réseau de distribution français. J’ignore comment il a été mesuré, mais il y a fort à parier qu’il s’agit du rapport entre l’énergie disponible au secondaire du dernier transformateur EDF, et celle disponible en sortie d’alternateur à la centrale ; autrement dit, il y a des pertes entre le transformateur et l’utilisation, qui n’ont pas été prises en compte.
...et la convertir en chaleur
Ça, c’est le plus facile. Il paraît que certains radiateurs ont un meilleur "rendement" que d’autres ; je ne sais pas très bien de quel rendement parlent les publicités [4], mais ce qui est certain c’est que 100% de l’énergie consommée par un radiateur électrique est convertie en chaleur. Il n’y a ni production de lumière, ni production de mouvement !
Faisons le bilan : 33% à 45% de la chaleur initialement produite convertie en électricité, puis au mieux 95% de cette électricité acheminée jusqu’au radiateur, et enfin 100% à nouveau convertie en chaleur.
Ce qui donne :
Conditions | Rendement du chauffage électrique |
---|---|
Origine nucléaire | 31% |
Origine charbon, gaz, fioul | 42% |
Comparaison avec d’autres modes de chauffage
Si l’on regarde maintenant le rendement de dispositifs de chauffage décentralisés on a :
Type de chauffage | Rendement |
---|---|
Cheminée ouverte | 15% |
Poêle à bois classique | 45% |
Foyer à bois encastré | 60% |
Chaudière à gaz classique | 75% |
Poêle moderne | 75% à 85% |
Chaudière à haut rendement | 90% |
Les chaudières dernier cri récupèrent la chaleur de la vapeur lorsqu’elle se condense dans la cheminée : elles atteignent un rendement proche de celui des centrales thermiques pour ce qui est de la production de chaleur, mais elles évitent l’inutile et coûteuse séquence de transformations chaleur -> mécanique -> électrique -> chaleur, qui dégrade terriblement le rendement global.
Ces chiffres peuvent être critiqués, j’ignore si leur source est fiable. Notons tout de même qu’il s’agit des rendements PCS et non PCI : ils sont donc comparables aux rendements globaux évoqués plus haut dans cet article.
Mais quoi qu’il en soit, à part la cheminée ouverte, qui est vraiment devenue un luxe de bobos (85% de la chaleur s’en va par la cheminée), et peut-être le poêle à bois classique au bénéfice du doute, tout le reste vaut mieux, à isolation égale, que le radiateur électrique.
Le chauffage électrique n’a même plus l’avantage du confort : un poêle à pellets, par exemple, dont la gestion est électronique (et même pourvue d’une télécommande !) n’a rien à envier au dernier cri du radiateur électrique.
La question de l’isolation
J’ai fait abstraction de la question de l’isolation, tout simplement parce que je voulais faire une comparaison "toutes choses égales par ailleurs". Mais cette question mérite qu’on s’y attarde : les promoteurs du chauffage électrique eux-mêmes, dont EDF, insistent sur ce point. Ils reconnaissent que le chauffage électrique n’est intéressant qu’à la condition d’avoir une bonne isolation. Comme si l’argument jouait en leur faveur, ils insistent sur le fait que les techniques d’isolation ont beaucoup progressé. C’est vrai. Ce qu’ils oublient de dire, c’est qu’elles sont indépendantes du mode de chauffage : rien n’interdit, bien au contraire, d’équiper un logement d’un chauffage à pellets et de l’isoler comme s’il était équipé de radiateurs électrique !
Qui plus est, les tableaux qui précèdent montrent qu’entre un chauffage électrique dans un logement bien isolé et une chaudière à haut rendement dans un logement mal isolé, la seconde solution serait globalement plus performante que la première !
Ça fait réfléchir, non ?
Ajout du 17 mai 2011 : je viens de tomber sur un exercice de thermodynamique qui, implicitement, questionne l’étudiant sur ce problème : http://www.sciences.univ-nantes.fr/.... Le résultat (réponse à la question B3) est édifiant : rendement de 90% pour la chaudière contre 38% pour le chauffage électrique.
C’est décidé, j’entre en guerre contre le chauffage électrique. Vive l’électricité pour produire du mouvement, halte à sa dégradation lamentable sous forme de chaleur, quand il est si facile de produire de la chaleur, et si difficile de la transformer en électricité !
Il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? Il faut s’interroger sur les moyens de sortir du nucléaire ? Banco ! Commençons par interdire le chauffage électrique ! Tout gouvernement un peu soucieux d’écologie (et même simplement d’économie...) devrait y réfléchir sérieusement...
[1] Le début de ce courriel mérite d’être cité :
"Coup de gueule d’un ingénieur responsable EDF concernant le 20h sur TF1
Merci de faire suivre !
Un illuminé nous a donné une série de leçons sur les économies d’énergie.
Nous prenant pour des débiles mentaux profonds ou des séniles
précoces, il nous a expliqué qu’en coupant toutes les veilleuses de
nos appareils électriques, nous pouvions économiser 15% de notre
consommation.
Faux, nous économiserions alors 2 à 3%.
Le même nous a expliqué qu’en remplaçant nos lampes traditionnelles
par des lampes à économie d’énergie, nous pouvions économiser 30 à
35% d’énergie.
Faux c’est 4 à 5 % que l’on peut économiser
Il est évident que si la maison est équipée comme celle de
l’arrière-grand-père, c’est à dire juste des lampes et pas de frigo,
micro onde, lave linge, lave vaisselle, sèche-linge et j’en passe,
car par rapport à la consommation de tous ces équipements celle des
lampes est "QUE DALLE"..."
Notre ingénieur oublie que, de tous les appareils électriques qui équipent un logement, à l’exception du réfrigérateur, les lampes sont celles qui fonctionnent le plus longtemps. S’ils s’était posé la question sérieusement et avait raisonné en énergie, donc en kWh, et non en W, c’est à dire en puissance, il aurait constaté que les plus gros consommateurs d’un logement moderne sont le réfrigérateur, le lave-vaisselle et... l’éclairage. Même le lave-linge, sur un programme économique utilisé une fois par jour, consomme moins. Je précise aux ingénieurs de tous poils que ce que je vis avec une installation autonome, sur batterie, et que ce que j’affirme repose sur des constats (mesurés) et non sur de la théorie.
[2] Les puristes parleraient sans doute d’efficacité. La distinction entre rendement et efficacité est sans importance pour cette démonstration.
[3] Ceci implique qu’en termes de rendement global, une voiture électrique est aujourd’hui moins bonne qu’une voiture hybride. Son avenir est lié à la fin du pétrole bon marché, mais il faudra que la production électrique atteigne des rendements beaucoup plus élevés pour que la voiture électrique soit vraiment un progrès écologique.
[4] Les convecteurs, par principe, chauffent le haut des pièces avant de chauffer le bas ; il doivent donc délivrer beaucoup de chaleur avant que l’habitant ne le perçoive. Mais s’il est possible d’améliorer la diffusion de la chaleur par un radiateur électrique, c’est également possible pour un radiateur à eau chaude. On pourrait introduire dans le calcul un coefficient qui permettrait de prendre en compte le gradient de température dans la pièce, mais ceci ne changerait pas la démonstration "toutes choses égales par ailleurs".